Le 9 novembre dernier, HEC Liège Executive Education accueillait Pedro Correa pour une conférence sur le thème « Le burn-out comme deuil sociétal, l’introspection comme antidote : vers un (ré)alignement avec les réels besoins de notre société ».
L’objectif de cette conférence était de dresser le bilan d’une société dont les ressources humaines s’épuisent, où les taux de burn-out, de démissions et de dépressions sont en hausse et où, pourtant, les initiatives pour la création de nouveaux possibles sont de plus en plus nombreuses. Comment en sommes-nous arrivés à cette nouvelle réalité ? En quoi le développement personnel et la gestion managériale constituent-ils les voies à suivre ?
La conférence était animée par Jean-Louis Pire, Senior Consultant au sein de HEC Liège Executive Education, et accueillait également François Pichault, professeur à HEC Liège, professeur invité à Paris-Dauphine, et directeur du LENTIC, le laboratoire d'étude en nouvelles technologies d'innovation de l'Université de Liège.
Jean-Louis Pire a ouvert la conférence à l’aide de quelques chiffres :
Ces nouveaux problèmes, je vais commencer par les aborder dans un constat, un constat que je vais poser sous forme d'un énorme paradoxe. C'est un grand paradoxe qui me saute aux yeux et qui, pour moi, est vraiment une très belle illustration de ce que nous sommes en train de vivre. C'est le fait que, d’un côté, nous soyons aujourd'hui dans une ère, dans une société qui n'a jamais été aussi avancée technologiquement et scientifiquement (…). Nos moyens sont extrêmement salubres, aussi. On n'a jamais eu autant de confort. On est bardé d'applications qui sont là pour nous aider dans notre quotidien, dans notre confort, pour nous faciliter la vie.
Pourtant, d’un autre côté, on n'a jamais été aussi malheureux. Ce n'est pas qu'on soit malheureux, c'est qu'on n'a jamais été comme ça : il n’y a jamais eu autant de prescriptions d'anxiolytiques, de tentatives de suicide... Ce constat accablant, je vais essayer de vous donner ma vision de comment est-ce qu'on en est arrivé là ? Qu'est-ce qu'on n'a pas fait ? Qu'est ce qui nous a manqué pour arriver à cette perte de joie de vivre ? », introduit Pedro Correa.
Pedro Correa a évoqué la révolution industrielle comme point de départ du système actuel. Selon lui, ce constat part du fait que, lors de la révolution industrielle, « on s'est concentré uniquement et seulement sur la matière ». Des machines ont été utilisées pour arracher de la matière première au sol, pour en construire des objets matériels. Depuis lors, tout fut uniquement focalisé sur ce qui est matériel, quantifiable et tangible, au détriment de « ce que nous pouvions ressentir, sur ce que nous avions envie d'être réellement ».
Pourtant, comme l'a fait remarquer Pedro Correa, chaque être humain n’est pas uniquement constitué de matière. En dehors des besoins fondamentaux matériels, chacun a des besoins fondamentaux immatériels et invisibles.
Ces besoins invisibles font trait à l’amour, aux liens avec d’autres personnes et avec la nature : « On ne vous a jamais invité à prendre soin de tout ça, parce que ça ne fait pas partie de l'ADN de notre système, parce que ce n'est pas quantifiable, parce que ce n'est pas tangible, parce que ce n'est pas matériel. (…) C'est juste une conséquence du fait d'avoir commencé notre société en bâtissant des usines et du matériel, et d’avoir focalisé toute notre attention, notre intention, notre imaginaire, notre vocabulaire dans ce genre de matière et de besoins humains, matériels ».
Ainsi, il appelle à étendre le concept d’hygiène de vie à ces autres besoins invisibles et immatériels.
Il a aussi évoqué la difficulté que chacun pouvait éprouver à écouter ces besoins-là. Pour illustrer cette difficulté, il a fait le parallèle avec un médecin, chez lequel chacun va pour soigner une douleur précise, et qui est remboursé par la sécurité sociale. Le bien-être mental fait trait à une douleur au moins comparable, mais qui ne se cantonne pas à un endroit du corps : « C'est une douleur du cœur, une douleur de l'âme ». Il s’agit là d’une douleur qui ne peut guérir seule, et qui risque de causer de réels dégâts physiques : « Ils ont beau être invisibles, ces besoins fondamentaux, leurs conséquences sont terriblement physiques dans le corps d'une maladie de longue durée, le burn-out, la dépression ».
Il a poursuivi en précisant : « Le fait que le burn-out, cette vague de malaise existentielle et sociétale, soit présente aujourd’hui… Je vois ça comme un sain sursaut, comme un espoir ». Pour lui, une nouvelle réalité est occupée à se construire, ce qui explique pourquoi l’existence d’autant de maladies de longue durée coïncide avec l’émergence de projets en lien avec la collaboration et la coopération.
Quant au rôle des entreprises, Pedro Correa pense que celles qui investissent maintenant dans ce monde de demain, celles qui ont la lucidité d’écouter aujourd’hui, qui veulent mettre en place des idées qui guérissent les siècles passés, seront au diapason de notre société.
Les entreprises, entre autres, doivent comprendre que ces besoins fondamentaux ne vont pas seulement se cantonner aux employés. Ce n’est pas pour autant qu’elles doivent devenir des centres de bien-être, ou que les managers doivent se transformer en coachs. Leur rôle n’est pas de guérir, mais de comprendre le lien entre besoins immatériels et bien-être humain, de respecter et d'accueillir ces nouvelles façons de faire.
Pedro Correa a terminé son intervention en insistant sur l’importance de l’introspection et du développement personnel, encore trop souvent considérés comme « un repli identitaire, égocentrique » plutôt que comme un lien vers l’autre : « Je vous invite vraiment à ce que ce deuil de l'existant que vous vivez, que vous observez autour de vous devienne une habitude, une nouvelle hygiène de vie, de vos besoins fondamentaux invisibles. (…) Cette introspection, elle va créer les liens qui vont faire que la société va changer profondément. Parce que le sens de l'empathie, la collaboration, le lien avec l'autre sont au centre de cette introspection ».
Pour continuer la conférence, Jean-Louis Pire a invité François Pichault à réagir à chaud à au discours de Pedro Correa.
En plus de l’introspection qui doit être menée par les individus, François Pichault rebondit sur l’un des points abordés par Pedro Correa, à savoir le rôle des entreprises.
La réussite des programmes de développement personnel en entreprises, des livres et des conférences sur ce même thème témoigne du regain d’intérêt pour le sujet. Toutefois, si seuls les individus prennent de telles dispositions, le risque est que l’entreprise se dédouane de faire quoi que ce soit, “en se disant que finalement, c'est peut-être les gens qui doivent changer et progresser vers un état d'accord avec eux-mêmes”.
Pourtant, si la quête de sens est un phénomène relativement récent, “il s'est cristallisé avec la succession de méthodes managériales de plus en plus contraignantes, de plus en plus centrées”. Cette cristallisation s’explique par différents événements :
Comme l’avait évoqué Pedro Correa, François Pichault mentionne que cette quête de sens se traduit par des initiatives innovantes :
Pour répondre à ces nouvelles demandes, il devient dès lors indispensable pour les entreprises d’innover, de trouver de nouvelles solutions. Les propos de François Pichault ont été appuyés par Pedro Correa, qui souligne l’importance d’accompagner les entreprises dans la phase d’acception de cette nouvelle réalité, de les aider à comprendre les nouvelles demandes auxquelles elles font face.
Ensuite, la conférence s’est poursuivie grâce à la participation du public, venu poser ses questions aux intervenants, ou partager ses propres expériences par rapport au burn-out.
Enfin, Sylvie-Anne Piette, Directrice de HEC Liège Executive Education, a clôturé la conférence en rappelant les fondements de l'Executive Education, son rôle sociétal et son impact sur les entreprises "Challenge Yourself, Challenge your Organization, Challenge the Future".
Les participants ont pu également prendre part à la séance de dédicaces, de l’ouvrage “Matins clairs”, écrit par Pedro Correa,
Né à Madrid d'une mère peintre et d'un père professeur de littérature, Pedro Correa arrive à Bruxelles à 14 ans.
Pendant son enfance, il voyage entre la France et l'Espagne. C'est en Belgique qu'il sera diplômé de Polytechnique et Docteur en Sciences Appliquées par L'Université de Louvain. Reléguant sa moitié sensible et créative au second plan, Pedro suit un chemin qui lui semble tout tracé : il enchaîne emploi dans une grande multinationale, mariage, grande maison en banlieue, enfant. Pourtant, ce succès professionnel et personnel ne lui permet pas de se sentir entier.
À la suite d’un basculement existentiel en 2006, il remet le sens de sa vie en question. La suite logique des choses repose-t-elle vraiment des postes avec des responsabilités de plus en plus importantes, des maisons des plus en plus grandes, des voitures de plus en plus puissantes ?
« Personne ne m'a dit que je pouvais prendre le temps, que l'on a droit à des essais, à des erreurs. Que tout porte à penser que nos vies seront longues et qu'elles risquent de sembler encore plus longues si elles sont vides de sens », écrit-il dans son livre « Matins clairs (Lettre à tous ceux qui veulent changer de vie) ».
Dès lors, Pedro Correa commence à prendre du temps pour trouver le chemin du bonheur. Il se replonge dans la photographie, passion qu’il possède depuis toujours, et demande à passer en 4/5ème pour pouvoir s’y consacrer davantage . Il commence à pratiquer l’art de la pleine conscience, il suit des formations en coaching de vie,… Tous ces basculements tournent autour de la question : « Maintenant que tu sais que tu pourrais mourir demain, aurais-tu changé quelque chose à cette dernière journée que tu viens de passer ? »
En 2013, il quitte définitivement son poste de chef de projets pour devenir artiste photographe.
En 2019, il est invité par l’Université de Louvain, de laquelle il est alumni, pour prononcer un discours à la remise des diplômes des ingénieurs civils.
Il y partage des chiffres alarmants : « Depuis 5 ans, la Belgique dépense plus de budget national en malades de longue durée (essentiellement des dépressions et des burn-outs), qu’en charges liées au chômage. Cela veut donc dire que contrairement à ce que l’on nous martèle chaque jour à propos du chômage, en sortant d’ici, vous avez plus de risques de tomber malade ou de devenir dépressifs à cause de votre emploi, que de ne pas en trouver ».
À ces chiffres, il y ajoute le constat « le bonheur, ça se travaille », et partage son expérience aux diplômés : sa décision d’écouter ses propres envies, de trouver du sens à sa vie, d’avoir le courage d’écouter sa voix intérieure au-delà de celle des médias, des professeurs, des parents… Et conclut en leur disant : « Ne m’écoutez plus moi, n’écoutez plus les parents, n’écoutez plus les professeurs, n’écoutez plus les pubs ni les médias, et écoutez-vous, écoutez-vous en tout premier ».
Ce discours, filmé à la sauvette, est ensuite partagé sur les réseaux sociaux, où il sera visionné plus de 14 millions de fois.
En 2020, Pedro Correa commence une série de conférences. Il publie son premier livre « Matins Clairs (Lettre à tous ceux qui veulent changer de vie) », un essai sur son parcours et l'invitation à une « révolution intérieure » pour se changer soi... et le monde. Depuis, il est régulièrement invité par des organisations, des ONG, des entreprises et des citoyens pour partager son vécu, pour les accompagner dans leur propre quête de sens, les aider à ces nouvelles réalités.
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